Ecrits

#45 Forteresse
 
 
L'extérieur est fort
Les murailles sont lourdes
Chacun.e est posté.e
Pour ne rien laisser
Passer.
 
Au fond de ton corps
Une douleur sourde
Venue du passé,
Tu essaies toujours
De la bâillonner.
 
Mais
Ne ravale pas tes larmes.
Je n'ai aucune lame
Sur moi.
Laisse-nous entrouverte une porte
Dérobée,
Que nous puissions encore
Vibrer.
 

Julie Boitte | 2020

#44 L'attente

 
Que reste-t-il quand l'attente s'arrête?
L'attente d'un mot de toi, qui ne vient plus, qui ne vient pas
L'attente, qui façonnait ma vie toutes ces années troublées
Je passais ma vie à t'attendre 
Je ne m'appartenais plus 
J'étais toute à toi, offerte comme tu me le demandes.
Et même si tu refuses de l'avouer
Ce don total que tu appelles de tes vœux, si fort et si profondément que nous sommes une flopée à ne pas résister 
Chacun.e de nous se croyant unique à tes yeux
Alors que pour eux tu es seul à compter
Nous nous noyons en toi, dans ton adoration 
Oui nous en sommes là 
C'est là où tu en es aussi
Alors que me reste-t-il?
Tu n'es plus la dose que je devais recevoir sous ma peau quotidiennement a minima
Tu ne me sauves plus
 
A l'ombre des arbres je me consume
Image votive d'un autre temps, d'un autre lieu.
Mes larmes brûlent.
 
J'attends toujours pourtant
J'attends d'être autofertile
Pas incréée pas omnipotente pas divinisée
Non je suis redescendue
J'attends que le vide m'envahisse totalement 
Et qu'il se fasse au creux de moi un nid
Qu'il s'y installe pour de bon
Et mon acceptation qu'il a droit à cette place, pour toujours
Et qu'il s'y sente bien 
Qu'il s'y love
Et qu'en lui je me plonge 
Comme on regagne un refuge bien connu autrefois, et enfin retrouvé.
Pour que quelque chose de nouveau
puisse émerger
 
A l'ombre des arbres je me consume
Image votive d'un autre temps, d'un autre lieu.
Mes larmes brûlent
 
Je ne demanderai rien
Je ne ferai que regarder 
Je ne ferai qu'écouter, sentir, toucher peut-être 
Et je laisserai le temps faire ce qu'il doit
Je ne croirai plus que je peux le perdre ou le gagner 
Je n'espèrerai plus le prendre et être fière de ça 
Je ne pourrai pas le donner non plus
Qui suis-je pour prétendre ça?
 
J'espère qu'un jour j'en aurai assez d'être arrêtée dans le creux de ma vie
Peut-être aussi que le creux en aura assez de moi et qu'il m'expulsera sur le début d'une courbe, montante cette fois
 
A l'ombre des arbres je me consume
Image votive d'un autre temps, d'un autre lieu.
Mes larmes brûlent
L'œil du cyclone est familier
Endroit du vide, ultime.
Tout tourbillonne autour moi.
L'agitation ne peut cesser
Au risque de voir l'angoisse tout recouvrir de son manteau jamais usé.
 
A l'ombre des arbres je me consume
Image votive d'un autre temps, d'un autre lieu.
Mes larmes brûlent
 
 

 

Julie Boitte | 2020

#43 L'Autre Monde

 
Y es-tu déjà allé.e?
De l'autre côté?
Là où rien n'est comme on croyait?
Là où le temps semble être à l'arrêt
De ce monde-ci?
 
Y es-tu déjà allé.e?
Là où ce n'est pas ta volonté qui dicte
Sa loi?
Mais où toi
Tu dois
Te laisser porter?
 
Si tu n'y es pas allé.e
Pourquoi
dire que ceuxcelles-là sont
timbrées?
Puisque tu ne sais pas
Tu n'as aucune idée
De ce qui se passerait si
enfin
à toi
ça
arrivait.
 
 
Julie Boitte | mai 2023

 #42 Plongeon

 

Tu as marché longtemps

Et tu as respiré

Ça t’a fait écouter

les cris des papillons.

Rouge.

Ça a duré longtemps

pour arrêter de penser que

seul.e l’autre te raccroche à la vie.

Mais non, tu n’es pas morte.

C’est juste que tu ne regardais que là

à cet endroit précis

là où l'autre

n’était pas.

Maintenant

tu peux t’ancrer

toucher la terre

regarder l’Est

respirer l’air

suivre ta chaleur et ton élan

rester changeante-mouvante

tout le temps

Car seule,

tu n’es pas.

Tu ne l’as jamais été.

Regarde juste

autour de toi.


 

Julie Boitte |  2021 Extrait de 'Dis-toi que ton coeur est celui d'une bête sauvage' Poésie Electro-Rock de Mocosès

#41 Denise

 

(...) parce que pour Denise,
c'est pas qu'il n'y avait pas eu de prétendant.e.s.
Des beaux, des belles, des riches et des intelligent.e.s.
Les voisin.e.s les avaient vu défiler devant la maison.
Alors,
chacun.e se demandait POURQUOI aucun.e n'était resté.e.
Non, ça ne pouvait pas être 'juste' à cause des poignées de porte?
Si? Non?!
Etait-ce si grave que toutes les poignées de portes de chez Denise
soient
en os? (...)

Julie Boitte |  2015 Extrait de "Antre[s]" sous le regard extérieur de Didier Kowarsky

#40 Iel et Suzie

 

(...) On est arrivé.e.s loin. Dans un autre jardin, celui des têtes coupées. On s’est planté.e, enterré.e, sans bouger. Isolé.e. Désespéré.e. Cette îlinvent’ n’était donc pas, idéale ? C’était insupportable. Mais impossible de s’en remettre aveuglément. Îleinvent’ ou pas.

Alors, nous avons goûté à la contemplation du devenir plante, végétal, liane, à qui on ne demande rien. Et ça a duré. Le temps que les veines d’Iel se recousent.

Là, Iel a fait vibrer, son corps et ses os, avec la terre, de cette voix profonde-rauque, cristalline-légère. Et la terre répondait. Et la terre était, fécondée. Et la terre faisait naître-surgir une plante, teintée du rouge carmin-cramoisi-pourpré-rosé : c’était, selon l’émotion, une plante qui ouvrait toutes les portes de la perception.

Les plantes parlaient à Iel. Iel n’avait qu’à, se brancher-connecter. Iel a appris COMMENT TOUJOURS AVOIR DE L’AIR, pour respirer même dans une bulle enfermé.e.s. (...)

 

Julie Boitte |  2022 Extrait de "Iel et Suzie" pour le projet Europe/Québec "L'île inventée"

#39 Carmilla 

 

(...) D’aussi loin qu’elle s’en souvenait, bien que fille unique, et bien que sa mère soit morte alors qu’elle était enfant, Laura ne s’était jamais sentie seule.

Il y avait toujours eu la brise dans le jardin, le vol des chauve-souris, le hululement des hiboux, les pas feutrés des renards. Et dans le manoir tout entier, les effluves de parfums anciens, les froissements de tissus invisibles, les craquements du parquet et les portes qui décident elles-mêmes de s’ouvrir.

Mais depuis que Carmilla -l’invitée- était arrivée, Laura ne pensait qu’à elle. Passait tout son temps avec elle, faisait tout comme elle, elle était comme aimantée, irrésistiblement attirée.

Elles avaient le même âge, portaient le même modèle de robe de nuit, et chacune dans sa chambre laissait une bougie allumée sur sa table de nuit, et chacune chaque nuit, fermait la porte de sa chambre à clé de l’intérieur. (...)

 

Julie Boitte |  2022 Extrait de "Mon sang coule dans tes veines" balade contée singulière

#38 Partir

 

Tu as besoin de partir

Tu as besoin de quitter

pour ne pas te laisser

Enfermer.

 

Tu marches quel que soit le climat.

Soleil qui te force par son éclat

à porter des lunettes

noires

- comme le chat.

Pluie qui rebat ton écharpe

et emmêle tes cheveux

mais

you don’t care,

Tu marches

sans t’arrêter et sans savoir

où tu vas.

 

Tu marches

parce que tu as besoin

de partir,

quel que soit le moment

de la journée

et surtout si la nuit

est déjà tombée.

 

Et ton cœur saigne.

Il cherche

la liberté.

 

De quitter tu as besoin,

c’est viscéral.

Pour que le souffle que tu sens,

ce souffle permanent de la sorcière d’antan

renouvelle

Ta peau

termine

Ta mue.

Fais donc enfin bouillir tes loques dans le chaudron.

Que tu n’as pas reçu de ta mère qui ne l’a pas reçu de sa mère non plus

Car le fil

a été coupé.

 

Le reste du temps pour ne pas t’ennuyer tu mijotes,

réchauffes les restes de ce que d’autres ont préparé,

fusionnes avec tes ingrédients secrets.

Et ça brûle

souvent très souvent.

Oui, la formule tu l’as oubliée

mais la magie ne s’est pas envolée.

Tu la sens tu le sais.

Tu n’es pas seule.

et quand tu marches,

Tes pas

emportent tes larmes.

 

Tu as besoin de partir.

Tu as besoin de quitter.

Mais ton cœur qui saigne,

Quand sera-t-il réparé ?


 Julie Boitte | mars 2021

#37 Psyché

 

(...) Tu es près de lui. Près de lui, et seule. Lucide. Donc. Enfin.

Tu es seule mais

Tu n'as plus peur.

Dans l'aridité des montagnes, tu n'es pas perdue. Tu n'es plus

à sa merci. Tu n'es plus

à la merci des becs des corneilles qui envient tes yeux. Tu es l'une d'entre elles.

Clairvoyante. Tu vois. Même les yeux fermés.

Tu sais qui il est. Tu sais qui tu es.

Tu as déchiré le voile : Not Anymore Eyes Wide Shut.

Tu-sais-qui-tu-es-tu-sais-qui-il-est.

Tu ne fuis pas.

Tu restes. Et tu pars à la fois.

Hors du jardin. Et jusque dans les bois. (...)

 

Julie Boitte | extrait de "Psyché" poésie électro-rock de "Dis-toi que ton coeur est celui d'une bête sauvage"

#36 Ce qui se passe

 

D'autres choses se passent que celles qui sont

évidentes

ou faciles

à voir.

Il y a d'autres chemins d'autres voies d'autres voix

que ceuxcelles qui sont tracé.e.s-cri.é.e.s pour être obéi.e.s.

Je veux la route qui n'existe pas.

La faille à se creuser-frayer

au milieu des débris

des vies passées.

Mais aussi parmi les herbes

folles

- entendez qui ont résisté

à être domptées.

Jamais domptées non.

Jamais soumises.

Jamais dociles.

Jamais obéissantes.

Mais libres.

Libres

De toute entrave.

 

Julie Boitte | 12 février 2022

# 35 Objet

 

Objet.

Bel Objet.

Pratique.

Fonctionnel.le, j'étais.

Jusqu'à aujourd'hui.

Car quand je pense à la mort, elle, à mon nez, rit.

De mes errances.

Je veux cesser de mourir.

Alors que je ne fais que ça:

Mourir-à-moi-même-à-mes-rêves-à-mes-idéaux-à-"Tout ce que j'aimais"*.

Je sais.

Mais à nouveau, comment m'en empêcher?

Comment refuser

l'habitude,

apprise acquise,

depuis l'enfance.

Tout en trouvant cette

Résistance

au fond de moi,

de mes cellules qui pourtant

doivent bien se souvenir?

Non?

D'un héritage,

de toutes celles qui l'ont fait avant moi,

ce chemin.

Où sont ces souvenirs, ces souvenances, ces réminiscences

d'une époque

- même brève,

d'une dignité

ancrée,

refusant d'être malmenée

par des volontés extérieures

et plus fortes que moi,

car portées

par des siècles et des siècles amen

de maltraitance

avec évidence

et sans jamais

"se retourner en rampant dans [leur] cerveau"**.

Où trouver cette puissance?

Et par quel bout

- dites-moi-non-ne-me-dites-pas-je-la-trouverai-seule,

la mobiliser?

Julie Boitte | janvier 2022

* titre du livre de Siri Hustvedt ** référence à Jim Morrison poète et chanteur du groupe "The Doors"

 

# 34 La Lenteur

 

Quand le temps ne passe pas

Ou quand il passe trop vite,

Est-ce identique?

 

Je suis la tortue qui parfois hésite

Au lieu de poursuivre sa route

Tracée.

Si je m'arrête c'est pour

Sentir.

Ce qui serait juste

Pour moi seulement

(C'est là la dureté).

 

C'est LE défi

De chaque instant.

Revenir dans son corps

Lentement.

Plongeant.

Sentant son cœur qui s'emballe.

Et le calmer.

 

Redescendre profondément

Dans le fond du gouffre

Dans le fond du

souffle.

Respirant.

Jusque dans le ventre les tripes tous ces endroits dont on ne peut pas

- toujours pas -

Parler librement.

Même si Tout

Vient toujours de là.

De ce qui frémit depuis l'infini

Ce qui fait vibrer la moindre cellule

Et qui n'a jamais été

Petit.

C'est seulement qu'on lui a dit

De se taire de se diminuer de se planquer

Pour ne pas déranger.

Alors oui

Si tu te dépêches tu ne déranges pas tu fais ce qu'on attend de toi tu ne sens rien tu ne sens pas tu ne te relies pas à ce que l'extérieur pressé ne voit pas.

Car oui

Ces choses-là ne se donnent pas

Comme ça.

Car elles le savent

Qu'elles peuvent si vite

Et si durablement

Être abîmées.

 

Mais

TOUT est toujours venu de là:

Du fond.

De là où

On ne peut descendre que lentement.

Pas à pas.

Barreau après barreau après barreau, innombrables.

Clôture après barrière,

Barrage après barricades,

Innombrables.

Et de plus en plus solides.

Ou pas...

Si tu cesses de décider

avec ta volonté.

Si tu te laisses faire.

Si tu les laisses

T'ouvrir.

 

Le souffle lent

Donne douceur

Et calme.

Alors,

Au fond du fond du ralentissement le plus grand

-  et toujours en mouvement pourtant -

Au fond du fond de ce fond-là

Quelque chose s'ouvre.

Une autre dimension un autre thème un univers

Qui réhydrate les racines retournées.

Qui ravive les couleurs rêvées.

Qui recrée ce lien

‘’Inimité’’.

 

Et c'est seulement quand je suis quand tu es quand nous sommes

Dans ce temps autre

Que

QUELQUE CHOSE

Se passe.

Une chose

Lente

Ou fulgurante.

 

Julie Boitte | janvier 2021 - prix reçu d'Uccle en poésie le 15 novembre 2021, catégorie slam

#33 Pieces of me

 

Pieces Of Me

Que je vous donne

sans compter.

Je me les arrache pour vous plaire,

Pour que vous m'aimiez

Que vous me disiez qui je suis,

Beauté.

 

Pieces Of Me

Que je lacère,

Eperdument.

Je m'étonne même de voir mes ongles, en sang

Tandis que tu cries ton désir

Pour que je t'aide à revenir

dans ton corps.

 

Pieces Of Me

Dilapidés

Dispersés.

Je les ai jetés pour voir, savoir

Comment être VUE enfin reconnue

Et qu'au lieu de me vider

De mon sang

Je reprenne vigueur, et force.

 

Pieces Of Me

Que je regarde

Avec tendresse

Je les ramène à moi, non pas pour les thésauriser

Mais pour les laisser reposer

Puis les offrir, enfin, après

Avec tendresse justesse amour

Et sans rien oublier

 

Pieces Of Me

Que je lacère.

Je me les arrache

pour vous plaire

Des bouts de moi dilapidés

Dont je ne peux rien

Effacer

 

Pieces Of Me

Pieces Of Me

 

Julie Boitte | mars 2021

#32 Le doute

 

Le doute de ne plus être à sa place.

La crainte de ne pas être à la hauteur.

Le gouffre de la spirale qui nous emporte

Sans pouvoir l'arrêter.

Alors que si.

Je peux arrêter.

Je suis préparée.

Je peux sentir de quoi j'ai envie de quoi j'ai besoin pour

Respirer.

Je m'entraîne.

Je suis entraînée.

Je peux reprendre mon souffle et mon pied

comme on sort la tête de l'eau pour regarder où est le large et où est la rive

Et se laisser le choix,

Aller plus loin ou revenir.

Un choix sans réfléchir.

Un choix qui s'impose.

Une décision du corps

de ce que les poumons demandent

de ce que le ventre hurle

de par où le cœur

Bat.

 

Julie Boitte | février 2021

31# Ce savoir-là

 

Comment savoir quand on est morte?

Comment en être sûre?

Tant de mort.e.s ne veulent pas partir, parce qu'ilelles ont été surpris.es et n'ont pas compris.

 

Comme cet homme resté sur le chemin devant chez lui, car il ne savait pas.

Comme cette jeune fille qui ne pouvait plus franchir les portes du jardin.

Les mort.e.s ne se savent pas toujours.

 

Et nous? Comment sommes-nous si sûr.e.s d'être vivant.e.s?

Quand on a si mal?

Quand on voudrait dormir tout le temps?

Quand on rêve un orgasme incessant

Pour pouvoir mourir dedans?

Oui.

C'est ça.

 

Toutes ces morts tous ces départs

Comment est-on si sûr.e.s d'y avoir survécu?

Comment être certaine que je ne suis pas vraiment morte sur le sol de la salle d'exposition évanouie parce que j'étais si

High.

Ou quand je me suis recroquevillée si fort

jusqu'à ne faire qu'une avec le pommier

pour étouffer les battements désordonnés

de mon cœur

quand j'ai cru que tu m'avais quittée?

Ou quand Marie-Jeanne était dans ce cercueil ouvert et que j'ai eu si envie de m'y jeter?

Ou quand j'étais Saint-Sébastien transpercé parce que je l'avais demandé à

La Madre?

Ou quand ma mère à moi ne me regardait et ne me parlait pas alors que je n'étais

qu'une enfant, que j'étais SON enfant?

 

Comment puis-je être sûre d'avoir survécu à tout cela?

Comment avoir la certitude que je ne suis pas passée de l'autre côté et que les autres ont juste peur de me le dire parce qu'ilelles en ont assez de me voir encore

Pleurer?

 

Je ne suis pas certaine.

Je ne la sens pas, parfois, cette vie qui pourtant devrait circuler dans mes veines.

 

Mais quand je la sens, c'est qu'elle me transporte.

Quand je la sens, je suis plus qu'humaine

Quand je la sens, c'est car la grâce

Me touche

Et que par hasard, je suis sur scène.

Traversée

Par quelque chose de plus grand de plus beau de plus puissant

Que moi.

Alors là oui je sens la vie.

 

Comme quand je suis près de toi

Et que toi aussi

Tu es vraiment là.

 

Julie Boitte | janvier 2021

 

 

 
30# Déchirure
 
 
Quand rien ne colmate les brèches
Quand tu as beau sourire, que tout dans ton cœur 
déborde.
Si tu pouvais faire sans
c'était avant.
Pourtant
tu étais habituée 
à n'être qu'avec toi - et vous étiez tellement déjà,
mais là..
c'est comme si le monde se refermait
en vous éloignant
sans relâche
comme si l'impossibilité devenait exponentielle.
Pour commencer, rien que l'autre de chacun.
Puis la petite,
adorée.
Rien que ça.
Tout ça déjà
a limité les envolées
trop souvent repoussées déplacées reportées.
Mais ça n'était rien.
Ça n'était rien à côté
de ce qui se passe 
dehors 
à présent.
Ces interdictions,
cette peur qui englue
qui dénonce
encore plus.
Et là 
je pleure.
D'abord parce que nos lettres se sont perdues.
Only Us No One In The World
 
 
Julie Boitte | octobre 2020

29# Le souffle

 
Le souffle me revient,
Brusquement.
Me plie en deux,
de force me frappe, dans la poitrine.
Parce que c'est toi.
 
Le souffle me revient,
Me surprend.
Je ne sentais pas que je ne respirais plus.
Tout ce temps.
Passé dans l'attente.
 
Le souffle me revient.
Ce n'est qu'une dose de plus.
Une béquille une prothèse un emplâtre sur mon corps même pas fait de bois.
Je le remplis pour rester arrimée au sol.
Mais je me perche,
Irrésistiblement.
 
Le souffle ne m'est revenu qu'un instant.
Je ne peux m'appuyer ainsi,
Excessivement.
Excessive,
Je le suis tout le temps.
 
Le souffle me quitte à nouveau:
Pourquoi mon coeur battrait-il 
Seulement pour moi ? 
Moi ne vaut pas
Assez.
Mais l'amante ne peut le supporter longtemps.
D'être aimée si totalement,
S'effraie.
 
 
Ça rend folle de trop s'interroger.
Mieux vaut s'enfuir.
C'est ce que je fais.
Car le délai est presque
Écoulé.
 
 
Julie Boitte | mars 2020

28# Si jamais

 

Si jamais plus jamais on ne se revoyait

Que pourrais-je dire

de toi?

Quand les rues et recoins seront à nouveau

libérés

 

Si jamais plus jamais elle ne recommençait

l'électricité de nos

peau à peau

Où serais-je

et où pourrais-je encore

me perdre?

 

Si jamais plus jamais, les cavernes de mon corps

ne résonnaient plus

par ta voix

Il n'y aurait que le vide

Qui m'appartiendrait.

 

Si jamais plus jamais, cette ville

Connue désormais

Ne nous accueillait plus,

Que resterait-il des soupirs, des respirations retenues

De cette danse

un après-midi de printemps

au milieu d'un salon

béant

Creusé de mes plus intimes

gouffres

 

Le romantisme

n'en serait pas

plus violent

 

Julie Boitte | 23.03.2020, une nuit de confinement lors du Covid 19

 

27# Octopussy Girl

Elle ferme la porte de sa chambre à clé, toujours.

Le bouton de la porte est rond et brillant.

Mais ce n'est pas vraiment une porte. C'est un trompe-l'oeil. Il n'y a pas de porte en fait.

La fenêtre, elle, est réelle. Sans vitre - forcément, dans un château, il n'y a pas de vitres aux fenêtres.

Dehors, on voit la campagne.

Les montagnes bleues.

Les peupliers, tendus vers le ciel comme des gouttes d'eau, verte.

Et la route, sinueuse, qui va jusqu'à la mer.

De sa chambre, elle voit la mer. C'est de là qu'elle vient. Mais elle avait envie d'une demeure majestueuse. D'où, le château.

Elle n'est pas seule dans le château.

Sur les murs se posent une mouche aux yeux rouges et aux ailes blanches, et un scarabée qui se blottit dans le coin quoiqu'elle lui dise.

Au sol, sur le carrelage vert et blanc comme un jeu d'échec, il y a sa grenaraignée àzailes. Ce sont ses enfants. Mais autonomes déjà.

Pour eux, sur le mur et le carrelage, elle a tout prévu : une pomme qui fait bien 30 cm de diamètre et qui pend du plafond, tenue par un fil solide. La pomme est jaune. Son nom, c'est « Délice d'or ». Les enfants n'ont qu'à se servir.

Ainsi elle peut rester alanguie dans son fauteuil rouge et douillet. Un coussin rose lui soutient le dos.

Elle passe son temps à peigner ses cheveux noirs et épais. Son peigne n'est pas un peigne de nacre, c'est surfait, le nacre, mais l'ébène, ah l'ébène.

Ses cheveux sont retenus par un bandeau bleu. Ses yeux sont gris, ses lèvres rouges. Sa peau est rose pâle jusqu'à la taille. Au-delà, elle a 8 tentacules à ventouses qui gigotent à leur aise. Et surtout, qui lui permettent de s'appuyer sur le rouge du fauteuil d'un bras et de se peigner les cheveux de l'autre tandis que l'une des 8 tentacules tient son miroir en bois clair – l'or, pour un miroir, c'est surfait.

Ainsi, elle peut à la fois se mirer et rêver de la mer.

Car y aller, à la mer, elle ne peut pas.

Car, Elle, garde, la frontière.

 

Julie Boitte | 2015, en écrivant "Antre[s], inspirée par le dessin de Nicoletta Ceccoli

 

 

26# Sorcière

 
Les sorcières n'ont pas d'amoureux.

Des amants oui, parce qu'il faut bien décharger cette énergie.

Qu'elle ne se transforme pas en RAGE. Destructrice. Parce que CestTellementTropLaBêtiseHumaineQu'onNePeutPlusAvoirNeSeraitce Qu'uneOnceDeBienveillance -Personne ne peut. Personne de lucide.

 

Les sorcières n'ont pas d'amoureux.

Ah si, bien sûr, il y a toujours ceux qui tombent en amour parce qu'ils sont fascinés.

Par leur corps d'abord. Par leur audace éventuellement.

Mais d'abord parce qu'ils s'imaginent les dominer, enfin. Et parce qu'ils croient qu'ils vont les sauver. Bien sûr. Avant de les museler. Pour l'éternité.

 

Les sorcières n'ont pas d'amoureux.

Même si c'est vrai, au début, elles auraient aimé. Même si c'est vrai au début elles l'ont souhaité, elles ont essayé.

Car au début, elles ouvraient encore leur coeur avec sincérité.

Car elles avaient cru - de par une lointaine aïeule qui l'avait tant répété - qu'elles se devaient d'être authentiques. 

Au départ elles avaient tout bien fait comme on leur avait dit. Tout. Plus que tout. Bien. Très bien. Plus que très bien. Mais, ça n'était jamais assez. Jamais assez. Jamais assez bien.

A demi-mots tous.tes leur disaient qu'elles étaient défaillantes, manquantes. Que n'importe qui ferait mieux qu'elles. Tellement mieux qu'elles. Et sans rechigner.

Alors à un moment elles ont juste cessé de pleurer. A un moment elles ont juste arrêté de s'illusionner. Et elles n'ont plus pu faire confiance à personne. Parce que personne n'est toujours digne de confiance.

Et elles ont juste su qu'elles ne pourraient jamais plus baisser la garde. Plus jamais baisser la garde. Jamais. Avec qui que ce soit. Quelles que soient les promesses. Quelles que soient les paroles. Car non, une fois que les yeux sont dessillés, on ne peut plus, se confier.

Les sorcières n'ont pas d'amoureux.
 
Les sorcières n'ont pas d'amoureux.

 

août 2019 | Julie Boitte

25# La vieille

 

C'est une fille qui se jetait, nue, sur les lances acérées

Et qui s'étonnait de saigner.

 

(Autrefois enfant

Qui courait sur les mines

Rêvant qu'il suffisait d'y croire

Pour s'envoler)

 

Une femme qui ouvrait son coeur à tout vent

Pour essayer, sans avoir rien examiné avant.

Surprise d'être ainsi pillée, vidée, vampirisée.

 

Elle est sur le point d'arrêter.

Comme on décide de se sevrer.

De se bâtir une attention.

De se pourvoir d'une intention.

Guerrière.

 

Car la vieille au regard de fleuve ou de feu, aux iris de ciel et de terre profonde,

Doit se tenir debout.

Ne peut que se tenir debout.

-son destin n'est PAS d'être piétinée-

 

Jeune et vieillarde,

Cette femme reste debout

Intentionnellement.

Reste debout

Parce qu'elle l'a décidé.

Ne se soumet pas.

Ne se soumettra plus.

Jamais.

 

Sans regret.

Et avec une puissance

Sans cesse renouvelée.

 
mars 2019 | Julie Boitte

24# L'envoi

(Je viens de lire "Passion Simple" d'Annie Ernaux.  Voici le poème qui m'est venu.. On ne se refait pas ^^)

 

Je t'imagine.

Ouvrir la boîte aux lettres.

Et trouver le paquet.

 

Je t'imagine.

Je t'imagine sans cesse.

 

Un paquet très petit.

Pour ce qu'il contient

En vrai : 

Tout mon espoir qui court vers toi.

Tout mon espoir qui ne sait pas

Comment il sera reçu, ni s'il sera 

Considéré.

 

Car je suis exsangue.

Et tu es blessé.

 

Car tu es toi

Et je ne peux être personne d'autre 

Que moi

 

Mais,

Nous 

Pouvons avoir de la

Considération

L'un pour l'autre.

 

Je ne veux plus mourir d'amour.

Toi, veux-tu oser 

M'aimer

Un peu ? 

 

 
décembre 2018 | Julie Boitte

23# Latence(s) - Extrait

(...)

Ce qui va germer ne sait rien.

Mais a la force.

A l’énergie de naître.

A l’espoir d’être quelque chose,

de devenir quelque chose

quelque chose qui vaudra la peine.

Ce qui va germer rêve ses racines: solides,

rêve une croissance, magnifique,

une vie, grandiose. ...

(C’est un espoir.)

Même s’il y a un risque

que ses racines apparaissent entortillées, emmêlées,

un véritable risque que ces racines grandissent de façon tortueuse

cherchant très loin et revenant sans cesse au même endroit

ou repartant à l’autre bout mais,

même si c’est follement,

les racines grandiront.

la chose, ses racines, tout son être

est rempli d’énergie

pour tracer un chemin neuf

encore - jamais - emprunté - auparavant.

(...)

 

Julie Boitte | 04-05.2018 avec et pour le Trio Oblique avec Catherine Pierloz et Octavie Piéron

 

22# Séparé.e 

De toi-même,

personne ne peut te sauver.

De ta mélancolie profonde,

Personne ne peut te guérir.

Aaaaaah ce vide.

Ce vertige.  

Cette séparation d'avec les autres.

Cette incompréhension fondamentale. 

 

Immense, distance, que personne ne peut combler.

Personne d'humain - même en cas de génie. 

 

Tu es séparé.e.

Accepte l'idée.

Tu es seul.e.

Au monde.

Et face à toi-même dès que le tourbillon des choses - sans importance les choses - s'arrête. 

 

Regarde-toi. 

Regarde-toi en face :  Qui es-tu ? Que veux-tu ? Tu pleures parce que tu es vide ? 

Ah mais cesse de te plaindre à la fin cesse de gémir.

Car le vide est un état de grâce.

Il n'y a que grâce au vide

que - la Magie - peut

advenir.

 

Julie Boitte | 04.2018

 

21# Serpent

Ecailles irisées.

Halo de lumière. Dorée. Toujours dorée.

Flots.

Ecume de chevaux galopants.

Se battre toujours contre le rouge. Taureau.

Cheveux blancs.

Mémoire enfuie. Enfouie.

Qui étais-je avant?

Avant toi? Avant lui? Avant elle aussi.

Flou.

Je vois flou depuis si longtemps.

Peut-être que c'est là qu'apparaîtra le chiffre. Derrière les lignes.

Caché.

Derrière les géométries folles. Du monde. Et de la vie.

Je scrute dans le brouillard. Et j'espère...

J'espère.

 

Personne ne viendra plus maintenant.

La brume et ses voiles me cachent moi.

Pour que je puisse continuer à dire que je ne sais pas.

 

Dorée la lumière oui.

Et les écailles?

De dragon.

Pas de sirène ni de gentil poisson.

 

Julie Boitte | 07.2017

20# Appetite for destruction

M'éclater la tête

Pour un "mot compte double", au moins.

Au moins.

M'exploser le crâne,

Eteindre mon cerveau

Et le rallumer sur une autre fréquence.

Quitter tout

Et détruire ce qui me paraissait beau, autrefois

Mais la table rase n'existe pas.

On vient toujours de quelque part

On a forcément suivi un chemin,

qu'on en soit fier, ou pas.

Schizo je suis :  deux, voire plusieurs vies,

pour le carnage ET la sécurité.

Mes démons

profitent d'une fissure

s'infiltrent patiemment.

Je les laisse me charcuter

Pour encore sentir quelque chose. Encore sentir quelque chose. Encore-sentir-quelque-chose.

Me fichant que mon corps cicatrise.

Mes os sont fracassés

et c'est mon sang qui coule.

Mon coeur n'arrive pas à se refermer

 

Julie Boitte | 01-02.2018

 

# 19 Ton absence

 

Une présence.

Puis une béance

Depuis si longtemps.

 

Parfois un éclat m'éblouit

Me laisse fascinée

Et je ne peux plus en détacher les yeux.

De toutes mes forces je veux lui être liée, reliée, fusionnée.

Oui, fusionnée.

 

Un instant cet espoir fou

L'espoir que ton absence cesse

Alors ne plus penser qu'à ça, qu'à lui, qu'à elle, toujours un.e autre

Qui me complèterait, moi.

 

Moi endormie

D'un sommeil d'anesthésie.

Une torpeur

Pour ne pas souffrir

Ne rien sentir

Qu'une douleur sourde

A bas bruit comme disent les psys.

 

Une habitude

ce vide chronique

Compagnon

De vie, malgré moi

 

I'm a Fool

Je n'apprends pas

Car à chaque fois je me laisse prendre.

Et même,

j'y plonge de mon plein gré

Dans cette espérance folle

De t'avoir (re)trouvé

 

Julie Boitte | 31.01.2018 - Sur les jumeaux / Essai 2

18# Les voix

Des voix.

Des voix qui disent : 

" Il était meilleur que toi. Il aurait mieux valu que tu y restes toi, pas lui ".

Même dans mes rêves, même quand je dors.

Voix qui insistent. Parlent de plus en plus fort. M'écorchent les oreilles. Le cerveau. Laissent mon coeur en lambeaux.

" Tu ne le vaudras jamais. Il aurait été tellement ... parfait. Tu aurais dû lui laisser la place. Ta place. Egoïste que tu es."

Cauchemars. Sans fin et répétés.

Les voix ont raison.

Impossible que j'aie été seule, dans le ventre. Impossible.

Ce vide, ce manque, cette tristesse venue d'avant, de ce monde aquatique - oui les eaux me fascinent, encore, toujours, pour toujours.

Nous étions deux, c'est sûr.  Nous étions deux autrefois, si proches si proches.

Les voix me parlent, de toi, sans cesse.

Ce qui me manque n'est pas un amour, n'est pas un.e amant.e.

Qui me manque pour me sentir complète, que je cherche sans cesse à nouveau, pour être qui je suis. Une. Unie. Unique.

C'est toi.

Toi mort trop tôt. Toi, mon jumeau.

 

Julie Boitte | 05.01.2018 - Sur les jumeaux / Essai 1

17# Pour Sylvia

 
AVANT

Petite fille candide.

Cheveux clairs, visage enfantin - comme un elfe aux grands yeux et à l'air étrange.

Corps juvenile. Longtemps. Souple. Comme une liane ou une belette. Fluide. Tremblant. Comme un faon aussi. Course légère. Envolées soudaines. Arrêts brusques.

Regard. On disait de ses yeux qu'ils étaient d'or. On disait quels beaux yeux elle a.

Elle ne comprenait rien. Elle regardait et se taisait. Elle écoutait. Tous leurs mots rentraient en elle. Enfouis dans la terre de son coeur. Son esprit en dormance. Travaillant en silence. Creusant des galeries et augurant des ramifications. Plongeant jusqu au centre, dans le feu, de là où naît toute vie. Toute potentialité de vie. Et toute force.

 

MAINTENANT

Fille. Femme. Quelle est la différence ?  Elle a peur. L'image qu'elle avait d'elle ne correspond plus. Plus du tout à ce qu'elle est devenue.

Ils aiment sa fausse candeur à présent. C'est ce qu'ils disent. Ils disent aussi que c'est ainsi qu'elle se protège.

Ils aiment ses courbes. Bien sûr. C'est d'abord ça qu'ils voient.

Ils veulent être désirés par elle, de la même façon qu'ils la désirent. Exactement de la même façon. Une façon tyrannique. Qu'elle n'arrive pas à reproduire. Ils veulent lui faire perdre la tête. Parce qu'ils ragent d'avoir perdu la leur alors qu'elle n'a rien fait pour ca. Car elle est naïve. Et ils le savent. Et ils en jouent.

Et elle est timide. D'une certaine facon. Et ça leur plaît. Mais ils la veulent un peu salope aussi. C'est le terme qu'ils utilisent. Pourtant, quand ils la découvrent un peu moins timide que prévu, ils sont apeurés. Car ils perdent le pouvoir. Ils perdent la domination. Elle n'est à nouveau pas celle qu'ils croyaient. Elle leur échappe. Elle n'est déjà plus là. Elle n'est déjà plus à eux. Elle est comme un mirage. Insaisissable.

 

BIENTOT

Fière. Voluptueuse. D'une démarche féline, réapprivoisée de l'enfance. Ce temps d'enfance, époque révolue et si présente encore, pourtant, et malgré tout. C'est ainsi qu'elle sera.

Elle aura travaillé sa candeur. Vraie ou fausse. Elle saura comment avoir l'air ingénue. Et croire vraiment qu'elle l'est. Sur le moment même. Elle saura en jouer. Dans la façon de regarder. De parler. De bouger.

Chaque jour elle ira dans son antre. Se ressourcer. Raviver sa vigueur. Replonger dans ses racines solides. Faire émerger une canopée qui sortira d'elle, fleurira même et accueillera toutes sortes de créatures.

Un jour, elle sera prête. 

Quand ce jour sera venu, elle sera. Effrayante et grandiose, terriblement lumineuse. Et de la cendre elle surgira, avec ses cheveux devenus rouges. Et tous, elle les dévorera.

 

Julie Boitte | janvier 2017
en hommage à la poète Sylvia Plath à partir de sa phrase " de la cendre je surgis avec mes cheveux rouges et je dévore les hommes"

16# La route

La route t'appelle sans cesse.
Te réveille, quand tu dors enfin.
Son cri est strident.
Elle te dit Viens. Elle te dit Pars. 
En insistant. Elle est comme un aimant.
Tu vois bien que les autres ne l'entendent pas,
avec la cire sur leurs tympans.
Tandis que toi, tu t'es attachée volontairement au mât.
Pour l'entendre. Pour l'écouter. Sans la laisser te tuer. Croyais-tu!
Autrefois tes oreilles aussi étaient bouchées.
Jusqu'à ce jour d'été. Où tes souvenirs sont remontés.
Te forçant à re-devenir qui tu es.
Qui tu es toi, vraiment, profondément.
Même si correct, ça ne l'est pas politiquement.
Mais à quoi sert d'entendre quand on ne sait pas répondre?
Et à quoi sert de répondre, quand de l'autre côté,
il n'y a plus que l'écho, de ta propre voix - certes belle, mais seule.
 
La route t'appelle.
Elle vient te secouer jusque dans ton sommeil.
Et tu sors de ton lit.
Et tes yeux n'arrivent pas à s'ouvrir.
Et tes jambes ne te portent plus.
C'est un cauchemar?
Non, c'est ta vie.
Tu t'es trompée d'époque.
Trompée. D'époque.
 
 
 
Julie Boitte | novembre 2017

15# Kate

Il voulait une vie normale.
Une épouse, normale.
Pas une femme passionnée. Ni extrêmement belle.
Et surtout pas, en aucun cas, extrême.
 
Il voulait une femme qui ne soit pas excessive.
Qui reste dans les clous.
Qui ne tremble pas.
Qui ne s'affole pas.
Qui surmonte les drames parce que "la vie continue".
Qui fait comme les autres.
 
Elle ne pouvait pas.
Tous ses bébés morts. Elle n'a pas supporté.
 
Alors, les paupières dessillées, elle ne l'a plus reconnu, cet homme.
Qu'elle avait aimé. Autrefois, jadis, il y avait une éternité de cela.
 
L'amoureux n'était plus là.
Il s'était enfui. Et elle ne pouvait pas aimer un lâche. 
Alors elle l'a laissé. Partir.
Elle, est restée seule.
Cloîtrée, chez elle.
 
Car le monde était devenu cruel.
Car la cruauté est partout.
 
 
 
Julie Boitte | août 2017
Après un film avec mon actrice fétiche.

14# Jumeaux

Je te veux
Je ne te veux pas.
Je voulais te rencontrer
Je ne voulais pas.
Je voulais ressentir quitte à souffrir
Je voulais l'indifférence.
Je voulais te charmer
Je suis hantée.
 
Jumeaux nous sommes.
Le seul véritable couple est celui-là.
Aucun ne peut faire sans l'autre.
Mais tandis que l'un l'avoue, l'autre fait comme s'il ne ressentait rien.
 
Tu n'es pas mon âme soeur. 
Tu ne m'es pas complémentaire.
Tu es mon miroir. Je suis ton double. 
Sous un air angélique, la noirceur tapie.
 
Il faut 
Pulvériser le manque.
Et savoir que cet abîme renaît. Toujours plus fort. Sa puissance décuplée. Indéfiniment.
 
 
Julie Boitte | août 2017

13# Si

 Si le gouffre s'ouvrait sous moi

Je ne résisterais pas

 

Si le ciel m'aspirait

Je ne me rebellerais pas

 

Si la pourriture grimpait sur les murs

De ma chambre

Privée,

Je resterais

Quand même

 

Si tu me disais

Enfin

Que tu m'aimes

Je fuirais

Loin

 

Je refuse que tu m'enfermes.

Je résiste à ton emprise.

A toutes les emprises je veux

Résister.

L'obéissance, jamais.

Jamais.

 

Un maître?

Qui est-il pour "supposer savoir"?

Comment s'en remettre à quelqu'un

D'humain?

Ou

De divin?

 

Mon amour.

Si je te voyais tomber

Je ne ferais rien.

Car enfin

- je m'en rends compte à présent -

Je ne te connais pas.

 

Julie Boitte | juillet 2017

11# Intimité

Terrifiante.

Etre qui on est et voir l'autre s'enfuir.

Se retrouver plus seul qu'avant.

Car avant, on ne savait pas.

Se jurer de ne plus jamais se dévoiler.

De n'être que stratégique. Observateur. Astrologue.

Car si l'on n'est pas Zeus, Léda meurt toujours de nous découvrir tel que l'on est.

Ne plus jamais croire.

Rester dans sa grotte.

Ermite misanthrope.

Que la moindre sortie soit vue comme une faveur. "Douceur".

Et non que le moindre retrait soit perçu comme une attaque. Personnelle.

Les chevaliers sont morts.

Etre léger c'est se barricader.

Alors, ne jamais dire la vérité.

Ne plus jamais croire vos yeux.

Ils sont un gouffre.

Je n'essaie plus de remonter.

Je suis un dragon.

Vous étiez prévenu pourtant.

Le monstre en moi grandit.

Vous avez peur. Et vous avez raison.

 

Julie Boitte | juillet 2017

 

12# Vous

Il faut qu'il soit bien accroché, le coeur. Pour ne pas s'égarer.

Décontenancée je suis -  et sans doute pas la seule.

Inassouvie aussi. Mais de quoi?

D'un désir indicible.

Comme si nous étions funambules hésitant sur le côté où pencher.

Comme si un ailleurs s'ouvrait, parfois. Un ailleurs rare, à apprivoiser, où se laisser mener, sans plus rien contrôler. Car rien ne se passe comme fantasmé.

Attirance irraisonnée. Encore toujours inexpliquée.

Romantique au sens tragique, invétérée, je crois que "quelque chose" se passe.

Troublée. En déséquilibre. Encore. Et sans doute pas la seule - c'est peut-être ça qui est inédit.

Je déteste les matins. Vous le saviez déjà. Parce qu'il me faut trouver une façon de vous quitter. Et je ne sais pas.

Ne vous méprenez pas. Sur moi, sur ces méchants dont vous croyez que je m'amourache, sur cette vie dont vous pouvez pourtant être assuré que je ne l'abandonnerai pas.

"Nous" existe étrangement.

Avec des sentiments.

Bulle rare. Précieuse parenthèse.

Une île sur la mer de nos stabilités choisies.

Pouvons-nous prendre soin - de cette possible intimité, dessinée, peu à peu ?

Vous êtes effrayé.

Je ne veux pas mourir sans être allée au bout. De qui je suis. De qui nous sommes. Chacun et avec l'autre.

Je ne suis pas déçue. Je suis intriguée.

Moi, autrefois votre très chère.

Vous, mon - (im)possible - am(our)ant.

 Julie Boitte | juillet 17

 

10# Dormeuse

Mon coeur est enchaîné.

Mes pensées sur des rails.

Et mon corps est souffrant.

Tout me ramène à toi.

Pourtant, je sais.

Nos souvenirs n'existent pas.

Et mes rêves ... sont des rêves.

Trop tard. Trop loin.

Et trop émouvant.

Même s'il n'y a que moi qui l'avoue.

Je préfère dormir. Enfin. Après tous ces tourments, cet élan contrarié.

Dans mon sommeil, tout est possible. Je peux tout reconstruire. Je peux tout recréer.

Et chaque moment à peine esquissé dans la réalité se déploie, prend de l'envergure, et s'envole, dans le ciel enflammé. Comme un oiseau magique, phénix toujours mourant, mais toujours renaissant.

Embrasement sans repos. Sans repos.

Car seul le ciel, me console. Du crépuscule ou de l'aube naissante.

Le ciel seul est un espoir. Pour que l'horizon s'ouvre à nouveau. Malgré tout. Malgré moi.

Et sans toi.

 

Julie Boitte | mai 2017 | Essai sur une belle au bois dormant. Dont le prince ne revient pas.

 

9# Me libérer

Me libérer.

Me libérer de vous. Me libérer de toi.

Mais d'abord, me libérer de moi.

JE ME libère pour partir.

Pour m'envoler.

Pour que mon désir tyrannique ne m'enchaîne plus au sol.

M'envoler parce que le monde m'appelle. Parce je veux me fondre dans le paysage.

Caméléon je suis.

Parce qu'on me confond toujours avec quelqu'un d'autre. Parce que je suis invisible déjà. Depuis toujours.

A côté de quelqu'un d'autre, je disparais. Tu ne me vois plus.

Parce que moi, je n'insiste pas. Si tu préfères du clinquant, du minaudant, c'est ton histoire. Je ne me soumettrai pas. Je suis de la nuit. De la pénombre. De la lune.

Je n'essaierai pas de te séduire. Parce que séduire c'est se mettre à la merci. Et j'ai déjà donné.

Solitaire, de toujours. Misanthrope. Et sans attaches - oh je voudrais oui je voudrais tant parfois, comme si ça empêchait de souffrir, pfffff.

Mais je peux aussi m'évanouir dans le brouillard de mes rêves. Bien plus vite que tu ne le crois. Et bien plus soudainement. Fais moi confiance: bien plus soudainement.

 

Julie Boitte | avril 2017

8# Je cherche

Je cherche.

Une maison pour la nuit

un abri pour le jour

un endroit de repos.

Je cherche.

Une maison où dormir

un abri pour sourire

un endroit de plaisir.

Je cherche.

Un lieu où respirer

l'air pur à grandes goulées...

Je cherche!

Un endroit d'ouverture

où tes yeux seraient là

pour me rendre plus pure,

plus fraîche, et plus mature.

Je cherche...

 

 

Julie Boitte | mars 2007

7# La Rage

Fébrile. Nerveuse. Prête à tout casser, à donner des coups de pied. A hurler. D'un cri qui viendrait du fond des tripes. Rauque. Dans un souffle effrayant.

Comme un enfant qui meurt.

Comme un vieillard qui n'arrive pas à quitter sa paillasse pourtant pouilleuse.

Comme un chaton qui agonise avant d'être dévoré par sa mère parce qu'elle est folle.

Mais ne pas crever d'angoisse.

Lutter. Toujours. Ne plus m'endormir.

Ne plus glousser.

Mais surprendre.

Derrière mon sourire angélique.

Derrière mon air ingénu.

Pour qu'enfin, ils sachent tous que je préfère les monstres aux héros.

 

Julie Boitte | décembre 2016

6# Haïkus

 

Le ciel est encore bleu

J'ai peur de la mort

Où est mon amant ? 

 

Les arbres nus

Me rappellent ton manteau,

Lorsque nous étions ensemble

 

La nuit tombe

Les yeux du chat sont verts

Tu es si loin

 

Les nuages roses

Par la fenêtre de ma chambre

Peuplent ma solitude

 

L'horloge grince

Mon coeur est fou

A toi contre moi, je pense

 

Dans ma caverne

A l'abri du monde qui m'agresse

Je t'attends

 

Le thé brûle

Mes mains sont froides

Je voudrais dormir, enfin

 

La corneille sur le sommet

Comme un enfant qui pleure

J'ai besoin d'un refuge

 

Le cyclamen se fane

Mes ongles longs se cassent

Je ne sais plus qui je suis

 

Dans le creux du monde

Le silence est fou

Tandis que je m'agite, sans cesse

 

 Julie Boitte | décembre 2016

 

 


5# Le pendu

Je pourrais croire que tu danses.

Si tu n'avais pas le pied gauche accroché à une corde.

Mais même ainsi, tes jambes sont comme des lianes, agiles, solides aussi.

 Qui pourraient te soutenir, t'ancrer droit dans la terre, si tu n'avais pas la tête à l'envers.

 Tu as l'air de rêver.

 Tu ne souris pas vraiment mais tu sembles serein.

 On dirait que tu flottes, dans l'espace – comme un cosmonaute, ou dans l'eau – comme un homme grenouille.

 L'or et l'argent sortent d'entre tes coudes.

 Tes cheveux sont d'un ange. Ils te nimbent d'une aura étrange.

 Mais tu n'es pas seul.

 Mes frères t'encadrent.

 Comme s'ils se mettaient à ton diapason.

 Comme s'ils veillaient sur toi, humain-trésor, jeune homme précieux, irremplaçable.

 Leurs feuillages sont à la même hauteur que ton visage.

 Leurs feuilles étoilées répondent par leur forme à la couleur de tes cheveux d'or.

 Tu flottes, tu planes : ils s'enracinent pour toi.

 Tu es apaisé : ils sont dans l'ailleurs, loin du réel.

 Ils sont la nature forte, pour toi.

 Tu te laisses faire par eux.

 Tu bois leur présence.

 Sans aucune résistance.

 Ils veillent. Ils vieilliront au-delà de toi. Ils sont dressés mais non tendus.

 Ils sont debout mais ne tuent pas.

 Ils sont.

 Sages par essence. Stoïques. Résistants. Inébranlables. Millénaires. Universels.

 Arbres.

 

Julie Boitte | mai 2016 - sur la carte du tarot de Oswald Wirth, dans le cadre du projet "De sève et de son"

 

 

 

4# Frémir

Je veux ton souffle, tes mains et ton regard.

Je veux ton audace et tes yeux encore.

Tes yeux toujours, la façon que tu as de les poser sur moi, sans pudeur.

Je veux tes mots. Parfois bateaux, toujours au moment où il faut.

Je veux tes doigts qui courent sur mon cou.

Je veux ta bouche sur mon visage.

Je veux ton rire quand je te défile mes lèvres.

Et je veux ta supplication.

Je veux nos promenades la nuit sous les étoiles, mon visage dans ton cou quand on joue à me cacher.

Je veux ce souvenir pour dans 20 ans, de cette vue appelée "... du paradis" dont tu n'as rien su car il faisait nuit. Et ton sourire et tes mains qui me saisissent un instant avant que je ne m'enfuie. Encore.

Avant que je ne sois vraiment troublée puis rendue à mes démons. Dont la légèreté et l'humour ne font pas partie.

Je veux ce frisson.

Je veux ce frisson de toi. Mieux encore. Et que je m'amuse. Et que tu joues. Mieux encore. C'est comme si nous avions eu notre répétition avant la première.

Même s'il ne doit y en avoir qu'une...

 

(Ps : je te poserai la question avant "cela peut-il se produire plusieurs fois avec la même?"..)

 

Julie Boitte | août 2016 en vue d'une soirée de poésie érotique

 

3# Poupée

Assise à l'entrée

petite maison-cabane

au pied d'un arbre / en fleurs

elle ne sourit pas

elle tient dans ses bras une poupée

sa poupée

bras de poupée qui tombent

tête de poupée qui part/ en arrière

l'enfant ne pleure pas ne dit rien

ne sourit pas

les yeux dirigés vers le corps sur ses genoux

le regard ailleurs

les mains soutenant le corps de poupée inerte

elle est pieds nus l'enfant

cheveux tressés

raie au milieu des cheveux lisses

robe grise

foncée

col montant

manches longues

pas de bas

jambes dénudées

c'est un soir d'été

la poupée est morte

l'enfant est pensif

après

il ne s'est plus rien passé

 

Julie Boitte | 10.11.15

2# Intact

 

 Il y a eu quelqu'un ici -c'est évident

quelqu'un qui vivait

quelqu'un qui aimait

puis qui est parti

jamais revenu/ jamais

il y a eu quelqu'un

assis sur ce tabouret/ de velours

assi-se se brossant les cheveux/ brosse en nacre/ cheveux d'or

miroir au cadre de bois sculpté

de roses

épanouies

offertes

écloses

 

elle aussi

ses yeux sont charbonneux

mi clos

sa robe est dégrafée

tombe sur son épaule qui attend d'être embrassée

quelles lèvres viendront ici ce soir ?

Quelle peau viendra contre la sienne après avoir ôté les soies du jupon, les lacets du corset

après avoir gardé les bijoux scintillants

à la lumière dorée/ des bougies

 

elle attend

se poudrant

se parfumant

 

Les tentures lourdes sont tirées devant les fenêtres

de la rue on ne distingue qu'une faible lueur

quelqu'un est arrivé ce soir

et elle a tout quitté

tout ce qui avait fait sa vie/ jusqu'ici

pour un ailleurs

un monde plus beau qu'on lui avait promis

 

depuis le miroir est tout piqué

les flacons sont tout ternis

une fine couche de poussière a tout recouvert

 

mes chaussures sont lacées jusqu'à mi mollet

les talons pointus ne font qu'une trace légère dans la poussière

je m'assois devant le miroir

je brosse mes cheveux avec la brosse de nacre

les yeux mi clos

j'attends

à la porte de l'appartement, qui viendra frapper ?

 

Julie Boitte |  10.11.15

1 # Sertie de plomb

Elle a toujours été là.

Surplombant le reste du monde.

Ses yeux bleu perçants

sa coiffe élégante piquée de fleurs

son chignon relevé

ses manches bouffantes

sa bouche pincée

un bijou sur le front un bijou brillant

étincelant

 

du haut de la fenêtre elle voit tout

qui entre qui sort

elle entend tout

qui pleure qui parle fort qui jouit

 

il y a cette enfant

de la terre sous les ongles

des yeux trop grands

le verbe lent

qui la regarde

et qui comprend

 

les autres ne regardent pas ne sentent pas ne voient pas n'entendent pas

les signes les souffles

l'enfant oui

ça lui coupe la parole

ça l'empêche de jouer avec des « camarades »

pourquoi faut-il en avoir ?

La solitude lui va. Bien

elle chante

elle rêve

elle marche

elle plante des fleurs

caresse le chat

revient toujours sous la fenêtre

à force d'attendre à force de crier sans parler

elle entend

le souffle du passé

elle est traversée

par les effluves du temps

 

elle est un coffret scellé

personne ne l'ouvrira jamais

elle n'aura pas de fiancé

ou de loin de si loin ils la regarderont, la désireront

mais effrayés n'oseront pas aller plus loin venir plus près

ils seront sans mots face à ses yeux profonds plein de questions

eux sauront avant elle que c'est elle qui sait

c'est elle qui sait

 

Julie Boitte | 16.11.2015